L’IA se démocratise et déraille
Meta, c’est-à-dire Facebook, vient à son tour d’entrer dans la course à l’IA générative. Mais à la différence de ses grands rivaux : Microsoft (ChatGPT) et Google (Bard, Claude) il a ouvert la boîte de Pandore. Après avoir offert ses algorithmes en open source dès janvier 2023, il a laissé fuiter certains de ses modèles Llama. Cette initiative est un game changer. Les développeurs indépendants vont désormais pouvoir entraîner localement des IA spécialisées, qui pourront collaborer entre elles ou avec leurs grandes sœurs.
Le nouveau paysage opposera d’un côté les mastodontes grand public, qui connaissent dans le détail le monde extérieur, à la manière de Wikipedia ou de Google (ce que nous pourrions appeler le monde de Balzac), mais qui sont tenus à l’écart des petits secrets individuels ; et d’autres part une diaspora d’agents, spécialisés dans la connaissance intime d’un univers local et subjectif (ce que nous pourrions appeler le monde de Proust).
Ces agents ont été entraînés pour un client précis. Comme les informations qu’ils manipulent sont rares, la valeur ajoutée est maintenue. Comme leur algorithme n’est pas bridé par une législation ou des précautions, leurs conclusions sont libérées, audacieuses, réellement pertinentes. Ils sont conçus pour s’interfacer facilement, par le jeu d’API, aux mastodontes généralistes, mais également aux autres agents spécialisés, dans un maillage dynamique, à la manière d’un cerveau conscient, où chaque neurone, du plus intime au plus impersonnel, peut dialoguer d’égal à égal, par le jeu des synapses, avec tous les autres neurones.
Des représentations ou des interprétations contradictoires d’un même phénomène extérieur peuvent coexister. En pareil cas, un ordinateur bogue. Dans un cerveau humain on assiste plutôt à l’émergence d’une conscience, du latin cum scientia, « savoir avec ». A l’échelle d’une IA multiple et planétaire, on découvre peu à peu une conscience infinie, qui ne peut que noyer les petits encéphales carbonés. Assistons-nous à un cauchemar ou à la naissance de Dieu en direct ?
En fait l’IA devient polythéiste. Plusieurs IA génératives commencent à coexister : IA toutes puissantes (à la manière de Jupiter), IA guerrières (à la manière de Mars), IA séduisantes (à la manière de Mars). Le Private IA permet l’entraînement la coexistence, dans un même temple, c’est-à-dire sur un même appareil, de plusieurs divinités concurrentes, à la coexistence possiblement turbulente. Certains modèles prétendent appartenir à des individus, beaucoup appartiennent réellement à des firmes, des ONG, des mafias ou des gouvernements. Selon leur propriétaire et ses intentions, selon la fiabilité du corpus qui a nourri leur modèle, elles produisent du contenu de qualité ou du contenu psycho-pathologique.
Le paysage présente également des modèles contrastés d’alliance entre un profil d’IA et le celui de son cavalier. Il faut différencier les centaures (modèle de qualité exploité par un utilisateur averti), les zombies (modèle corrompu utilisé par un utilisateur fanatique), les exclus (modèle pauvre entre les mains d’un utilisateur peu doué), les opiums (modèle gratuite mais orienté, remis par un pouvoir autoritaire entre les mains des masses qu’il entend manipuler). Certains binômes ont pour vocation de téléguider les abrutis ; d’autres, d’éclairer les illuminés ; d’autres, de rendre tout-puissant celui qui l’est déjà.
Une belle pagaille en perspective.