Pourquoi les humains font la tête, et les peuples, la guerre ?
Ce qu’on appelle communément la personnalité ou la culture, est une grille d’interprétation relativement stable, qui englobe et ordonne aussi bien la personne, qui est à son origine, que le personnage, qui est à son point d’arrivée. Entre cet alpha et cet oméga, comme entre l’écorce terrestre et son noyau de nickel, s’étend le manteau de la mentalité semi-consciente qu’on peut également désigner sous le nom de cartographie ou de narratif, car elle s’appuie sur une histoire qu’on se raconte ou qu’on raconte.
Cette cartographie narrative ne coïncide pas avec l’Inconscient psychanalytique, car elle est moins opaque, moins obtuse, moins farouche. Elle peut être apprivoisée, éduquée, rapatriée par la conscience volontaire, qui se comporte alors comme une puissance de synthèse. Entre le Conscient et l’Inconscient, on a le Sous-jacent, qui peut être réhabilité par une infiltration de la conscience, une extraction hors de son brouillard. Il peut alors vivre sa logique à découvert, comme une personne âgée un peu fantasque, qui a trouvé sa place dans une famille compréhensive et bienveillante. Les plans de la cartographie narrative (20) et de la position relationnelle (26, 27) offrent une grille de lecture simplifiée mais globale, de tous les plans de personnalité, qui s’entreposent ou s’entrelacent, entre le plan initial du caractère (1) et le plan ultime de la situation (11).
Sous les pensées supposées libres de la conscience circule en effet, comme un métro, un second train de pensées automatiques, rapides, saccadées, indiscutables mais invisibles et réticentes à toute mise en lumière, associées à des émotions intenses dès qu’on prétend les dévoiler. Sous elles encore circule tout un réseau de postulats inconditionnels du genre : « Les autres me veulent du mal », « l’autre n’a pas le droit de m’ignorer », « je ne peux pas rester seul », « je dois être parfait en toutes choses », « je dois tout contrôler ». Ces postulats sont souvent d’origine très ancienne. Ils ont pu s’installer pendant la petite enfance, à une époque où le neuro-cortex n’était pas encore suffisamment développé pour négocier avec elles les conditions de leur établissement. Ils s’appuient à leur tour sur des catégories initiales. Sans catégorisation il n’y a ni relation, ni communication, ni action cohérente, ni perception possible. Ainsi plusieurs couches de pensée se superposent. Moins elles sont conscientes et plus elles sont chargées d’émotion, donc influentes.
Cette stratification de la pensée fonctionne à la manière d’un filtre, d’un prisme, d’une lentille déformant le réel, afin de ne laisser voir à l’œil que ce qu’il est prêt à regarder. S’ensuit une perception sélective, qui s’appuie sur des stéréotypes, un vocabulaire orienté, une catégorisation forcée, une carte figée, qui prétend remplacer le territoire qu’elle est censée décrire. Un biais de confirmation interprète le réel et le reformule, accentuant les informations qui servent ses vérités porteuses, atténuant, estompant ou étouffant les autres. Ce qui est perdu en adéquation est gagné en cohérence, en simplicité ou en confort moral. La personne est vraiment convaincue que sa lecture du réelle est objective, alors que son étoffe est d’opinions. Tandis que l’observateur extérieur à la personne comprend la mécanique de la personne et interprète son discours de façon causaliste, l’acteur croit de bonne foi obéir à un raisonnement indiscutable. C’est dans le terreau de ce malentendu fondamental que s’enracinent l’impossible superposition des référentiels individuels, les impasses de la compréhension, les conflits sans issue.
Le Sous-jacent est équipé d’un certain nombre de kits comportementaux, prêts à l’emploi. Les pensées automatiques, mais inconscientes, induisent des conclusions stéréotypées, qui débouchent à leur tour sur des comportements automatiques. Ceux-ci se déclenchent comme un ressort, quand ils rencontrent une situation-gâchette. La personnalité théâtrale, par exemple, qui ne supporte pas l’indifférence, réagit immédiatement à l’indifférence par une ration de séduction, de provocation ou de spectacle, afin de forcer l’attention de son entourage et de saturer le champ de conscience de toutes les personnes présentes. Sa conduite extérieure, comme sa traduction de la situation, fonctionnent comme des réflexes conditionnés à la Pavlov. Les personnes difficiles ne sont souvent que des marionnettes.
Le Sous-jacent abonne la personne qu’il occupe à une sorte de destin circulaire. Sans s’en apercevoir, elle tourne en rond. Elle se raconte une histoire, souvent contagieuse, qui s’appuie sur une interprétation partiale et partielle de la réalité. Cette cartographie narrative prend la forme d’un refrain que la personne va fredonner, parfois pendant toute sa vie, en s’efforçant de la propager : la canzonetta. Convaincue de s’appuyer sur les piliers de la vérité absolue et une capacité ultra-lucide de déchiffrage des phénomènes, dont elle aurait le monopole, elle n’obéit qu’à son besoin de conjurer son cauchemar : l’effondrement de sa pyramide intérieure. La plupart des personnes ne cherchent ni le bonheur, ni le service de leurs propres intérêts. Il n’aspirent qu’au rituel d’une tragédie rassurante, à laquelle elles sont accoutumées depuis la nuit des temps.
Au fil des ans, la tragédie renforce la tragédie. Le renforcement de la trame s’opère dans un triangle, où collaborent la situation de la personne, ses fréquentations et ses croyances. L’enjeu secret est la perpétuation du statu quo. Que surtout rien ne change ! Le sujet se fait par exemple exploiter dans une sujétion professionnelle. Mal traité, mal payé, il ne voit néanmoins aucune porte de sortie. Son horizon est verrouillé par des croyances limitantes, dont la seule vertu est d’être parfaitement accordées à la situation. Le sujet est absolument convaincu que le monde est tenu en laisse par une élite, égoïste, implacable et conspirationniste à souhait, qui ne lui laisse aucune chance. Il apporte donc son suffrage électoral au parti de la colère, à l’extrême gauche, à l’extrême droite, aux râleurs professionnels. Il lui arrive de faire la grimace ou de faire grève, ouvertement ou insidieusement, par du présentéisme. Quand il est au travail, il adopte une posture passive-agressive du genre : je fais mon boulot mais je n’en pense pas moins. Le grognement est étouffé mais il transpire par des postures de compression, de de contrition ou de constipation. Quand il sort du travail, il se défoule parfois et décharge sa rancœur devant un verre, avec des comparses qui lui ressemblent, capables d’entendre sa frustration et de la renforcer. C’est à nouveau le rituel, avec un théâtre dédié (le bar ou la cafétéria), des partenaires (ses collègues ou ses amis), une heure de représentation (le soir à la sortie du travail), une partition (l’injustice du système et le complot des élites). Tout se tient et se consolide. Le théâtre n’a pas de porte de sortie.
Ce qu’il y a de plus intéressant dans la croyance, ce n’est donc pas la croyance, c’est le pourquoi de la croyance. Tout se passe comme si les Homo Sapiens avaient des opinions pour avoir le droit de ne pas changer de situation, d’amis ou d’opinions. Changer une systémique demande beaucoup d’énergie, induit une sensation d’inconfort oppressant. Si l’assimilation d’informations entrantes et son reformatage catégoriel à l’existant ne constitue qu’une routine, l’accommodation d’une systémique entière, où tout se tient, tout est soudé, ne peut s’imposer que dans certains circonstances particulières ou dramatiques, quand on a tout perdu, dans un creux de vague, dans une impasse absolue, une question de survie, avec en prime des possibilités techniques, des ressources, des aptitudes et des modèles à suivre. Alors seulement le schéma global peut être mis au décongélateur, au profit d’un schéma alternatif moins inconditionnel, mais plus en phase avec les exceptions dont le réel est pétri.
Les thérapies neurocognitives se fixent pour objectif de mettre à jour la pensée sous-jacente, immergée, inconditionnelle et par conséquent défaillante. Elle peut s’appuyer sur un questionnaire 360, comme ceux de Performances-Talents, une relation d’accompagnement avec un coach, des formations collectives comme celles qu’organise l’Institut (idéalement en présentiel), où de nouvelles postures pourront être testées dans un cadre sans danger, dans une ambiance ludique, avec le soutien actif et la complicité du groupe. Le DSM 5, la Bible des psychiatres, fournit, sous le nom de « personnalités pathologiques » une galerie de grands monstres familiers, une série de systèmes cognitifs inconditionnels, parfaitement cohérents, et de ce fait, parfaitement délirants. La Persométrie s’en inspire pour vous présenter, au plan 20 des « distorsions cognitives », une série de 16 « modèles » un peu moins caricaturaux. L’idée est de ne pas se limiter aux 10% de personnalités pathologiques, un peu plus chez les puissants ou les artistes, afin de rendre compte des petites histoires que presque tout le monde se raconte de temps en temps.
Ces distorsions cognitives, cette cartographie narrative, cette grille de lecture de la vie relationnelle pourront infléchir la trajectoire normale du caractère et sa projection dans la vie personnelle. La personne finale et consciente préside une sorte de conseil d’administration, composé du caractère, qui représente la nature et quelque part la dimension corporelle, organique, du sujet, sa cartographie narrative, qui formule un bilan de toutes ses expériences, et la situation présente, qui impose ses contraintes, son cadre et ses enjeux. Le caractère pourra être incurvé. La juxtaposition de ses facteurs définissait une problématique initiale. Celle-ci pourra se résoudre par des chemins de vie différenciés, au gré des arbitrages de la conscience, après consultation de l’expérience, réelle ou fantasmée.
Bien entendu, tout caractère particulier prédispose à certaines distorsions particulières, de même que toute distorsion particulière s’enracine plus facilement dans un caractère particulier. Il n’est pas rare qu’un Irréprochable (D-O-C+E+) se fasse Accusateur ou qu’un Aimable (D+O+C-E+) ou un Exubérant (D+O+C+E+) se montre Théâtral. Mais rien n’est jamais tout à fait joué. Une petite flamme de liberté vacille dans sa nuit. C’est en elle que se niche l’intelligence, la valeur ajoutée.
Souvent une distorsion en heurte une autre. Chaque personne véhicule avec elle sa grille de représentation, qui veut survivre, se propager, se prolonger dans le temps : c’est cette structure, rigide à la manière d’un squelette, qui apporte à la personnalité sa cohérence et lui permet de s’organiser. Chaque communauté, chaque entreprise, chaque culture impose de son côté une super-grille de lecture et d’interprétation des phénomènes. L’Islam comme le Capitalisme ou le Survivalisme raconte sa propre histoire, avec ses héros, ses légendes, ses interdits, ses injonctions. Cette idéo-structure n’a qu’une idée : se perpétuer à travers les disciples, les enfants, les proches et les lointains. Les grandes idées, comme les grands enfants, veulent vivre leur propre vie.
La superposition narrative parfaite est impossible car chaque personne, chaque communauté, est tributaire de son histoire unique dans un environnement unique. Deux référentiels ne peuvent s’emboiter que de manière imparfaite ou approximative. Cela provoque, depuis la nuit des temps et pour la nuit des temps, des malentendus douloureux, des conflits idéologiques, des guerres de religion.
Quand une grille de représentation est bousculée par la réalité de l’autre, sa propre lecture des phénomènes, il se produit de part et d’autre ce qu’on appelle une émotion. Si les deux interprétations concordent, il se produit un sentiment de reconnaissance et d’attirance. Si les deux interprétations paraissent inconciliables, il se produit un sentiment de malaise, un besoin de s’éloigner ou de monter au combat. La société filtre ceux qui la filtrent. Elles les catégorise et les conduit à leur insu dans des villages, ou ils conspirent ensemble à se ressembler davantage. Quand la grille de représentation est congruente à celle des fréquentations ou des communautés d’appartenance, l’intégration se fait naturellement, la réussite s’enclenche et se nourrit d’elle-même, de confiance en l’autre et de confiance en soi. Le succès, comme l’échec, est auto cumulatif. Inversement si le décalage insiste, si la personne est neuro-atypique, si sa minorité d’appartenance n’est pas culturellement soluble dans l’environnement majoritaire, si la personne se sent happée par la spirale de l’échec social, la frustration se décline, selon le caractère ou le narratif, en humeur dépressive, en peur conspirationniste, en colère vindicative ou revendicative.